Voici l'article de notre groupe (Sarra, Imen, Walid et principalement M. Hazera pour la correction) sur la Médina, en tant que lieu de mémoire. Nous nous sommes intéressés à la politique, sous plusieurs de ces aspects, officiels et officieux, formels et informels. Ceci est la version presque définitive de notre travail. Il nous reste à apporter quelques améliorations, et peut-être de légers ajouts, en fonction des nouvelle photos prises aujourd'hui. Si vous avez des avis ou des remarques, n’hésitez pas. Nous allons finaliser les moindres détails pour et durant la séance prochaine, en terminant également les légendes.
Depuis 2011, la place
de la Kasbah a vu défiler des manifestations, symboles de sa renaissance
politique. Cette cour
d’entrée de la Médina réconcilie aujourd’hui les aspirations démocratiques du
peuple avec l’exercice officiel du pouvoir.
La Médina accueille chaque Tunisien les bras grands
ouverts ; de l’écolier à la mère de famille, du politicien au paysan, tous
sont les bienvenus dans ce lieu de plus en plus ambivalent et contrasté, où les
exercices officiel et officieux du pouvoir s’entrecroisent chaque jour.
Avant même de pénétrer les ruelles étroites et tortueuses de la
Médina, une atmosphère particulière se dégage de la Kasbah, qui concentre la
mairie de Tunis, mais surtout le ministère des finances et le premier ministère.
Ce symbole de la contestation populaire après la révolution arbore de nombreux
drapeaux soulignant l’importance politique de la place. Ils capturent nos regards et nous guident dans les ruelles
de la médina au gré des bâtiments officiels et des commerces qui les arborent
fièrement.
Symboles de la cohabitation des classes, les élégants bâtiments à
fonction politique côtoient des bâtiments plus modestes, à l'image des petites medersas, anciennes écoles religieuses
qui abondent dans ce lieu attaché à ses valeurs traditionnelles. La première
que nous visitons, pourtant d’apparence très sobre, s’avère être riche en
secrets. En effet, au temps du protectorat
français, celle-ci abritait les activités de mouvements nationalistes de
résistance. Les jeunes qui y logeaient organisaient des réunions politiques
pour rallier les nombreux habitants et étudiants de la Médina à leur cause. Après
avoir été découverts par la police, la medersa fut transformée en salle de
sport, et c’est ainsi que sous couvert de combats de boxe et de duels d’escrime
se sont tenues des réunions politiques secrètes.
Des décennies plus tard, la Médina aime toujours les réunions
officieuses : on continue à y prendre des décisions de haute importance,
notamment dans deux restaurants prestigieux : Dar El Jeld et le Diwan. Récemment
rénovés par la famille Abdelkafi dans le style traditionnel de la Médina, ces
deux restaurants sont tout autant connus pour leur nourriture typiquement
tunisienne que pour leurs salles somptueuses où d’éminents hommes d’affaires et
politiciens se retrouvent, qu’ils soient tunisiens ou non, pour pouvoir
discuter dans un lieu agréable et intime. (…) Exigence et luxe sont de rigueur
dans ces établissements, dont les clients sont bien souvent des personnes à
l’influence internationale : Jacques Chirac, l’Emir du Qatar,… Plus
récemment, Dominique Strauss-Kahn y a rencontré au mois de juin, celui qui
allait devenir l’actuel Président de la République, Béji Caid Essebsi,… Ces
dîners, donnant lieu à d’importantes décisions, existaient déjà à l’ère des
beys, qui accueillaient leurs invités dans leurs propres palais, eux aussi le
plus souvent situés dans la Médina.
Cependant, cette politique d’arrière-cour se traduit également par des rassemblements, des débats ou
des expositions organisés dans différents lieux culturels.
Tahar Haddad, homme politique du début du XXème
siècle, syndicaliste et militant des droits de la femme, auteur du livre
révolutionnaire Notre femme dans la législation
islamique et la société (1930), a donné son nom à un club culturel, terrain, entre autres,
de meetings autour de ces questions. Par chance, nous tombons sur l’une de ces
tables rondes sur la violence à l’égard des femmes ; organisée par de
jeunes étudiants, on y déplore l’inadaptation des lois, on y propose des
solutions. Des peintures au sujet de la femme sont exposées dans le club, dont
certaines sont très violentes ; une femme enchaînée, des photos de femmes
ayant milité lors de la révolution…, toute cette effervescence à seulement quelques centaines de mètres des
deux principaux ministères du pays.
Un autre aspect, en déperdition cette fois, d’une force
politique officieuse se retrouve dans les commerces. Le premier marchand que
nous interrogeons est un ancien vendeur d’instruments de musique, reconverti
dans la parfumerie. Nous sommes surpris de voir que, sur ses présentoirs, se
côtoient des bouteilles connues et de marque et des flacons traditionnels. D’une
certaine façon, cette boutique est à l’image de la Médina actuelle : les
instruments de musique, qui ne se vendent plus, disparaissent, tandis que sur
un même étalage, se côtoient parfums traditionnels et produits industriels
importés.
Ce contraste qui apparaît au sein d’un même commerce est omniprésent
dans les souks, avec les témoignages d’un vendeur d’articles de mariées et un
bijoutier. Le premier, Ahmed, a hérité de la boutique de son père, tandis que le
second, Taoufik est arrivé à l’âge de 10 ans de la campagne pour apprendre le
métier. Dans les deux cas, c’est un savoir-faire traditionnel datant de
plusieurs générations qui se voit aujourd’hui menacé de toutes parts : la
jeune génération n’est pas intéressée pour reprendre ces boutiques, mais pire
encore, depuis une cinquantaine d’années, les souks ne sont plus organisés par
corps de métier : se côtoient aujourd’hui dans le même souk bijoutiers,
fabricant de chechias et vendeur de contrefaçons, ce qui contribue à dénaturer
un aspect particulier de la Médina, mais également à supprimer l’identité de
chaque souk. Les deux artisans nous parlent également du prestige aujourd’hui
perdu de leurs corporations respectives. En effet, alors que ces professions
bénéficiaient autrefois d’une aura et d’un respect leur permettant de peser
dans la politique interne de la Médina, aujourd’hui, ces repères officieux ne
sont plus d’actualité, et les artisans, autrefois symboles du folklore et de
« l’esprit de la Médina », sont désormais de simple vendeurs comme
les autres.
A l’image du pays, la Médina est aujourd’hui en pleine
interrogation sur son identité, tiraillée entre tradition et modernité. Elle
demeure toutefois un centre où la politique se vit dans des lieux tant
officiels qu’officieux.